Istanbul en musique, c’est une série à suivre ! Vous n’avez pas lu Istanbul en musique 0 – ou comment le cinéma construit mes fantasmes ? Let’s go !
Allez, « chose promise chose due » comme on dit… Nous sommes en janvier et le bureau sur lequel j’écris fait face au piano numérique que j’ai acheté plusieurs semaines après mon arrivée ici. Quelle galère, quand j’y repense ! Que de stress, de fatigue et d’énervement pour trouver un matériel que je n’avais aucun plaisir à acheter… Mais c’était sans compter les joies de l’administration turque (bien que nous ayons été extrêmement privilégié·es !). La tranquillité que j’éprouve aujourd’hui détone tellement avec les premiers mois de notre arrivée…
Mais il n’est pas question de matériel, ici… Alors, c’est comment pour mes oreilles, Istanbul ?
Les bruits rigolos de la vie quotidienne
Les pouets et les bips
Je garde un souvenir amusé et attendri de mon compagnon, qui les premières semaines, imitait les bruits de la rue dans laquelle nous vivions en déambulant dans notre appartement, exactement comme le font les perroquets. Les sirènes de police, les klaxons, les bips de machines sont les premiers sons qui ont étonné et amusé nos oreilles, et j’avoue que nous ne nous attendions pas à ça. Nous habitions au fin fond de la campagne lorsque nous étions en France, donc le changement d’environnement sonore est de toute façon flagrant, mais nous sommes cependant coutumier·es des grandes villes. La sonnerie du tram, sa différence avec le son de son klaxon d’urgence, les jingles d’annonces de la SNCF, etc., sont autant de bruits dont on n’a plus conscience et qui forment un environnement sonore local. Cette nouveauté inattendue nous a ravie. Le son le plus drôle ici est un son de klaxon un peu bizarre qu’utilisent les voitures de police (j’aimerais beaucoup déambuler dans la ville avec mon micro pour vous faire goûter ça, je vais tenter l’expérience pour le prochain article).
Les cris
Dans les autres sons quotidiens propres à Istanbul, il y a l’usage que les gens ont du cri. On s’en doute, comme en France, on trouve des marchands qui vont crier pour alpaguer leur client·es. Les marchés étant légion ici, c’est un son que l’on croise fréquemment. Mais ce qui est plus amusant ce sont les cris des vendeurs qui déambulent dans les rues. Je constate que la pratique fut d’usage en France, sous le nom de « cris de Paris ». Même dans notre petite rue de Şişli (à prononcer « Chichli »), rue calme et dépourvue de commerce, des crieurs passent plusieurs fois par jour, que ce soit pour vous vendre un simit à la fenêtre ou pour récolter votre féraille. Pour leur rendre honneur, je dois dire qu’ils ont beaucoup de coffre et une endurance incroyable. Mais pour une raison que je ne m’explique pas, ce bruit est le seul qui m’agace profondément. Je l’entends toujours alors que je suis sur mon canapé, et je m’énerve au point que je sors parfois la tête par la fenêtre pour voir qui est le fauteur de trouble et le maudire d’un peu plus près, ce qui est tout à fait ridicule sachant que ces métiers sont probablement difficiles et mal payés.
Le chat
Enfin, s’il y a un son caractéristique de ma vie à Istanbul, c’est la bagarre de chats. Il y a des bagarre de chats dans tous les endroits du monde, j’en suis persuadée, mais je vous assure que vivre dans mon bureau donnant sur cour toute l’année à Istanbul vous vaccine définitivement de l’image du chat mignon.
La musique
Dans les rues d’Istanbul
J’avais anticipé une vie culturelle florissante, et je nourrissais beaucoup d’espoirs dans le fait d’assister à des concerts. Il est très amusant de constater que j’ai assisté à quelques-uns, mais qu’ils ont quasiment tous été des concerts d’opportunité.
Essayez d’imaginer une journée intense de voyage : vous vous levez après 3h de sommeil, prenez votre voiture, arrivez à la gare (coucou un piano de gare) prenez un train, ré-arrivez à une gare (re-coucou un piano), attrapez un taxi, un avion, sortez de l’avion, entrez dans un métro, puis lorsque vous sortez de terre, vous découvrez dans la chaleur humide d’une soirée d’été une ville illuminée fourmillante de vie. Vous êtes sur un port où s’agglutinent de gros bateaux attendant patiemment leurs passager·es, et lorsque le souvenir des vaches que vous avez quittées douze heures auparavant vient s’afficher devant vos yeux, votre cerveau s’agace puis abandonne définitivement sa mission de cohérence face à la merveilleuse absurdité de la technologie. C’est ainsi baladé·e, à bout de forces, ayant lâché toute forme de tentative de rationalisation – donc dans une forme d’émerveillement artistique – que votre oreille attrape la voix d’une musicienne par-ci, celle d’un vieux joueur de Baglama par-là, et que se présente l’identité musicale d’Istanbul.
J’ai été émerveillée par la prestance d’un chanteur-guitariste qui a pris le micro dans le vapur qui nous ramenait de l’une des îles aux Princes, puis par la ronde des musiciens qui entouraient les nouveaux marié·es au détour d’une rue délabrée de Beşiktaş. Non, il n’est pas difficile d’entendre de la musique dans Istanbul, pour qui veut.
Dans les salles de concert
En ce qui concerne des concerts formels, nous n’en avons vu qu’un seul (j’avais sans doute sous-estimé les effets de la fatigue de l’installation et la barrière de la langue). Au lycée Saint Michel, nous avons eu l’occasion de voir le concert de la chanteuse soprano Tuğçem Kar et du guitariste Caner Kan. Je me souviens que selon le répertoire (qui était un mix de chanson traditionnelle turque et de musique classique occidentale), j’ai plus ou moins apprécié la voix de la chanteuse, et que ce qui m’a le plus touché était le répertoire turc et espagnol. Non pas que les interprétations de la musique classique occidentale aient été mauvaises mais simplement, la voix était beaucoup plus libre – donc en ce qui me concerne plus touchante – dans la musique méditerranéenne. Je peux dire que dans ce concert, la musique orientale a très nettement éclipsé la musique occidentale, qui paraissait bien moins vivante (et tant mieux) !
Les musiques actuelles turques
Bon, je ne peux pas vous dire que je me suis fait plein d’ami·es pour l’instant. A vrai dire, je rencontre peu de personnes (tempérament casanier + barrière de la langue = c’est long). Si bien que je ne surfe pas encore sur le répertoire pop stambouliote, et que la meilleure anecdote que j’aie à vous raconter sur ce sujet se passe dans les bureaux de l’administration turque.
Donc… Il était une fois quatre européen·nes qui voulaient obtenir un Ikamet (permis de séjour turc). Ces gros·ses privilégi·es de la vie arrivent dans les bureaux sans trop d’encombres (et surtout sans avoir traversé la méditerranée) et déposent quatre dossiers de vingt kilos chacun après avoir pris leur ticket de file d’attente et avoir poireauté dans une pièce surchauffée. Un passage aux toilettes nous rappelle que le papier toilette n’est définitivement pas universel et que l’évolution n’est pas dans le sens que nous croyons. Puis après des va-et-vient rigolos pour chercher tel papier à l’autre bout de la ville, avoir fait un virement en euro puis en lire turque puis il faut retirer les sous parce que l’administration ne prend que le cash, passage sur une aire de jeu pour les enfants (et moi) puis un pide quand même parce qu’on a faim, etc.
Bref, cinq heures plus tard nous finissons par passer le premier chek-point grâce à une secrétaire parlant habilement français (n’espérez pas parler anglais dans ce genre d’endroit), et arrivons dans un bureau d’une toute autre allure, et quasiment désert. Derrière leurs tables, deux hommes dans la trentaine et manifestement désoeuvrés, bullent en écoutant de la musique. A notre arrivée, la musique ne s’éteint pas mais ils se mettent tout de même au travail après avoir négocié avec leur playlist. Et tout en prenant délicatement et consciencieusement (mais non sans arrêter de remuer la tête pour garder le rythme) toutes les empreintes qu’une main peut dissimuler, ils nous partageront certains de leurs groupes préférés à notre demande. C’est ainsi que le premier groupe de musique turque que nous avons découvert (et que les vrai·es turque·es écoutent) est définitivement associé à l’administration turque…
Mais je dois dire que je n’ai pas flashé pour la musique qu’ils nous ont présentée. Aussi, je préfère vous faire découvrir un groupe que nous avons découvert plus tard dans des conditions beaucoup moins magiques (si tant est que vous ayez trouvé l’administration turque aussi magique que moi).
Pour votre joie, voici Gaye Su Akyol et sa musique sulfureuse :
La religion
Le Muezzin, part 2
Les derviches tourneurs
La langue
Hier, je me suis entendue dire avec étonnement que j’aime cette langue, chose que je n’avais jamais dite telle quelle. J’en ai été ravie. De nombreux sons sont devenus quotidiens et lorsque j’ai quitté la Turquie subrepticement en fin d’année (pour y revenir bien vite, rassurez-vous), j’étais si fâchée de ne toujours rien comprendre que j’ai mis les bouchées doubles. J’ai manifestement passé un premier cap. Je continue un savant mélange de Anki et d’Assimil et je progresse. Bon, cela étant dit, je n’ai toujours pas intégré le oui et le non turc… Oui je sais c’est pathétique. Je suis capable d’élaborer des phrases plus que complexes mais les seuls réflexes que j’ai réellement intégrés, ce sont les équivalents de « merci », « au-revoir » et toutes les formules de politesse. Même le fameux « Tamam » n’est pas encore un réflexe. Je continue de dire « ok »… Misère. Le cerveau est bien étrangement fait !
J’ai aussi appris (j’avais déjà eu l’occasion de faire cet apprentissage de passage en Grèce), que parler ne me sert à rien si je ne comprends pas ce que me disent les gens. J’ai donc très tôt arrêté de parler, sinon quoi j’ai face à moi un moulin à parole que je ne parviens plus à stopper.
Je trouve toujours la mélodie de cette langue magnifique et adore chercher à imiter l’accent au plus près possible, exerçant ma bouche et ma langue résolument façonnées par la langue française à toutes sortes de pirouettes exotiques. Les mots interminables du style zeytinyağlılardan continuent de me donner du fil à retordre.
A ce stade où nous commençons à nous connaître, je dois par contre vous avouer quelque chose… Un péché apparemment impardonnable pour certaines personnes de mon entourage :
L’un des outils les plus efficaces que j’aie pour apprendre une langue, c’est… Peppa Pig.
Jetez-moi vos cailloux mais laissez-moi me justifier : ok c’est moche, ok c’est pas très évolué. Mais l’objectif de ce type de dessin-animé, si je ne me trompe, c’est d’offrir aux enfants une accessibilité supérieure à leur propre langue maternelle, en les plongeant dans des scènes quotidiennes (pour lesquelles leurs parents sont aux abonnés absents en notre époque de burnoutés) et en énonçant les choses de la manière la plus simple mais correcte et compréhensible possible. Ainsi, les dessins-animés de ce genre rassemblent-ils le vocabulaire le plus élémentaire et quotidien d’une langue, ce qui est tout ce que demande un·e débutant·e dans une langue étrangère. De plus, Peppa Pig est traduit dans toutes les langues imaginables. Et vu que ma démonstration est exceptionnellement convaincante, vous allez me faire le plaisir de regarder un épisode fissa (ça peut vous donner l’occasion de voir à quoi ressemble la langue turque si vous ne l’avez pas encore fait :
Conclusion
La conclusion qui s’impose, c’est qu’Istanbul, c’est cool. C’est cool et c’est encore beaucoup trop opaque pour moi… Mais les expériences sonores sont légion et mon oreille ne s’ennuie pas. Je sens déjà que les sons de la ville ne m’étonnent plus autant qu’au début. Mon oreille s’attèle à de nouveaux défis et j’aimerais beaucoup voir comment dans mon cerveau tout s’organise et se désorganise pour absorber la nouveauté.
Au plaisir de vous retrouver bientôt !
- J’aimerais sentir que c’est aussi juste pour moi de mettre « ou petit garçon » . Mais l’image que je conserve de cette scène est autobiographique. C’est bien moi que je visualise dans cette image, et à ce moment-là, si mon genre était sans doute déjà flou, je pense que c’est l’un des rares moments où je me sentais « petite fille ». ↩︎
Laisser un commentaire