Don Shirley en tournée.
On n’a pas tous et toutes les mêmes chances de jouer sur scène.
Et on ne raconte pas les mêmes choses.
Ce n’est pas un film sur le piano mais un film sur l’entremêlement complexe et fin des deux oppressions que sont le classisme et le racisme. Et c’est là que le piano apparaît, car c’est là sa place. Le piano et la musique classique sont des instruments de classe sociale, peut-être même avant d’être de la musique. Ils incarnent en eux-même la violence d’une rupture entre les classes populaires et les classes d’élite. Le génie n’est pas le fruit du talent mais du privilège1.
Je n’oublie pas ça quand, blanche issue de milieu privilégié, je joue Scott Joplin. Je n’oublie pas ça quand, noir américain, il joue Chopin.
Le regard impressionné que me lançaient mes ami·es campagnards quand je jouais, je ne l’ai compris que bien plus tard, ne disait pas tant de mon talent que de nos origines. J’avais eu la chance, au contraire d’elles et eux, d’hériter d’une culture bourgeoise, qui marquerait mon futur d’une appartenance apte à ouvrir des portes qui resteraient désespérément fermées pour les plus ambitieux·ses de mes camarades.
Je n’aime pas la virtuosité – je ne l’aime plus disons. C’est une forme de pouvoir que je trouve indécent. Mais lorsqu’elle sert à faire briller ce qui a été éteint, ce pouvoir devient une arme de lutte pacifique, intelligente, et sensible.
Je crois que je n’aime rien tant que lorsque l’art devient politique.
On n’a pas tous et toutes les mêmes chances de jouer sur scène.
Et on ne raconte pas les mêmes choses.
- Lire Le talent est une fiction de Samah Karaki, très loquace sur le sujet de la musique. ↩︎
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