Cours de piano en ligne, écoute empathique

Istanbul en musique 0 – ou comment le cinéma construit mes fantasmes

Pour celles et ceux qui ne le savent pas, aujourd’hui je me prépare à déménager. Dans une semaine, nous partons, moi, mon compagnon et nos enfants, pour Istanbul.

Nous nous sommes souvent définis comme semi-nomades, récupérant allègrement un terme qui n’appartient pas à notre culture résolument sédentaire, mais qui sonnait juste dans nos parcours. J’ai vécu une partie de mon enfance et adolescence dans les Landes, où les habitant·es ont des racines profondes, installées depuis des générations et des générations, faisant orgueilleusement la différence entre la culture de tel village et tel autre. Ne partageant pas cette connaissance minutieuse du terroir, j’ai grandi dans ce territoire avec le sentiment très clair que je n’en faisais pas partie… Et que je ne faisais d’ailleurs partie de nulle part. Je suis française, mais française d’où ? Finalement, ça n’avait pas d’importance : habiter nulle part, c’était surtout habiter partout.

Cette évidence de départ que nous avons toujours ressentie, nous n’avons pas vraiment pu la « consommer ». Très tôt parents et sans le sou, nous sommes restés en France pour nous maintenir en sécurité matérielle. Mais le désir était là.

Aujourd’hui nous sommes à dix jours du départ pour un nouveau pays que nous ne connaissons pour ainsi dire pas du tout, et j’ai envie de vous raconter comment la musicienne qui fait partie de moi entrevoit ce voyage.

La langue

Le premier écho de « l’oreille turque » auquel j’ai eu accès bien avant le départ, est arrivé par le cinéma. J’ai eu la chance de voir Sibel de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti, et deux films d’Emin Alper : Derrière la colline et Burning Days. Sibel est particulièrement intéressant car la personnage principale est muette et parle la langue des oiseaux turque. Cette langue est sifflée ; les cordes vocales ne sont donc pas utilisées. Si son intention première n’est pas la compensation d’une déficiences des cordes vocales mais plutôt la possibilité de communiquer à de très grandes distances avec un moindre effort comparé à la voix, elle est néanmoins tout à fait adaptée pour que la jeune fille communique.

Bande annonce de Sibel

En ce qui concerne Derrière la colline, je n’ai pas énormément accroché du fait de l’aspect huis clos, même si je me souviens avoir passé un très bon moment de cinéma. Mais avec le suivant, qui m’a bien davantage marquée, ils constituent un aperçu (bien sûr, subjectif) de la vie de village en Turquie.

Bande annonce de Burning Days

Pour en revenir aux questions musicales, c’est donc par ces films que j’ai rencontré la langue turque, toute faite de « u » et de « ou », ce qui donne l’impression quand on la parle, de faire la moue en permanence, la bouche en cul de poule, et contribue à rendre cette langue « chou »… C’est une langue toute ronde, qui roule sous les « l » et les « r » abondants, et qui est en même temps caractérisée par cette sonorité très orientale, qui rend les « a » profonds (on ouvre l’arrière de la bouche) et dans laquelle on rencontre le fameux « h » aspiré oriental, que j’ai toujours rêvé prononcer dans un autre contexte que celui de la langue anglaise. Le seul mot « Merhaba » qui signifie « bonjour » est un pur plaisir à prononcer pour moi…

Le Muezzin

S’il est un son dont on a entendu parler depuis la France, s’il en est un qui semble marquer les occidentaux, c’est bien le chant du muezzin. Oreille sélective islamophobe ou réelle présence acoustique ?

Quoi qu’il en soit, nous verrons quel effet il a sur moi. Je m’attends à ce que ce son me soit plutôt désagréable du fait qu’il se produit partiellement la nuit et que je suis de nature relativement insomniaque. Quand j’y pense, j’ai d’ailleurs principalement en tête cette scène-ci :

Extrait de OSS 117 : Le Caire, nid d’espions

Plus sérieusement, je me rends compte en écrivant ces lignes que je n’ai jamais encore envisagé ce chant réellement comme de la musique. Je l’ai principalement envisagé sous son angle religieux, à l’instar des matines catholiques, qui ont été sonnées dans mon village pendant des années, ou des Heures des messes orthodoxes dont m’avait parlé mon compagnon après son voyage au Mont Athos. Je l’ai aussi envisagé comme la marque d’une ambiance urbaine spécifique, dont feront partie les moteurs de voiture et les mouettes. Je constate que je l’imagine donc davantage comme du bruit que comme de la musique, mais voyons ce que l’expérience en dit…

La musique turque

De la musique turque, je ne connais rien… Ni classique ni populaire. Ou quasiment rien. J’ai la chance d’avoir une belle-famille qui entretient des liens très forts avec la Grèce. Et qui dit Grèce dit Rebetiko… (Ah ! Turcs et Grecs se vouent une haine historique, je vais me faire taper sur les doigts !).

Il existe d’ailleurs un article de Maxime Actis sur le sujet, auteur d’Ibrahim Qashoush. Je vous invite à le lire !

Au sujet du rébétiko, deux autres films me reviennent à l’esprit, il faut absolument que je vous les partage… Le premier s’appelle Djam. Il s’agit d’un film greco-franco-turc, réalisé par Tony Gatlif, faisant apparaître l’actrice belgo-grecque Daphné Patakia (que l’on voit dans Benedetta ou dans la série OVNI(s) par exemple). On retrouve dans ce film le Rébétiko si cher à mon cœur, pris dans les phénomènes de migration contemporains, continuant de le consacrer comme musique tragiquement d’actualité.

Mais je ne sais pas si je vous ai déjà raconté comment j’ai rencontré le Rébétiko… Eh bien il faut m’imaginer jeune fille, rencontrant la famille de mon compagnon actuel, sur un canapé en été dans une maison landaise remplie de trésors venus de pays lointains, et son père nous remettant une vieille cassette vidéo sur laquelle est écrit Ρεμπετικό. C’est peut-être à cause de son émotion lorsqu’il nous a tendu la cassette, mais le film a d’emblée recelé quelque chose de magique, et ses images et sa musique se sont inscrites profondément en moi. A tel point que j’ai parfois du mal à adhérer à d’autres morceaux de rébétiko que ceux de la BO !

Bande annonce de Rébétiko de Costas Ferris

L’histoire du Rébétiko s’ancre à cheval entre la Grèce et la Turquie, lors des échanges de populations ayant lieu au début du XXième siècle. Cette tragédie humaine est due au Traité de Lausanne, le pendant turc du Traité de Versailles (ce-dernier concernant l’Allemagne), mettant fin à l’Empire Ottoman, et prévoyant des échanges de population entre la Grèce et la Turquie manu militari. Si jamais l’on doutait du tragique des faits historiques…

Près d’un demi-million de Grecs de Turquie sont morts (pour la plupart dans les camps ou en route) […].

Article Traité de Lausanne de wikipédia

… on est nécessairement convaincu·es par la voix déchirante des rebetika (chanteurs de rébétiko) qui pleurent l’arrachement à leurs terres ancestrales. Car parlant turc tout en étant chrétien orthodoxe, parlant grec tout en étant musulman, le peuple n’est jamais une case qui s’administre tranquillement, et les États font bien fi de la complexité culturelle… C’est ainsi que naît le Rébétiko, qui continuera son histoire tragique et rebelle dans les années du régime de Métaxas et plus généralement tout au long du XXième siècle.

Constantinople, l’actuelle Istanbul, avait été épargnée par ces échanges de populations. Nous imaginons donc peut-être trouver par-ci par-là quelques communautés grecques dans les rues d’Istanbul. Et peut-être quelque rebetika perdu dans un recoin de la ville…

Comme il a façonné mon oreille, je me suis accoutumée aux sonorités orientales, occidentale que je suis… Et je trouve les chants orientaux particulièrement émouvants. On sait que la musique orientale accepte des intervalles plus petits que les intervalles de la musique occidentale, ce qui lui donne une grande richesse. Pour cette raison, les chants me semblent pouvoir avoir une expressivité plus naturelle et spontanée (en apparence, car il est évident que c’est beaucoup de boulot…). On dirait parfois que les chanteurs pleurent littéralement dans leur chant.

Musique d’aujourd’hui

Pour ce qui est de la musique contemporaine, j’ai connaissance d’un (seul) groupe de musique que nous écoutons en boucle à la maison, j’ai nommé : Altin Gün ! Bon, iels ne sont pas tout à fait turcs mais au moins, c’est en turc…

Altin Gün – Goca Dünya

On se retrouve bientôt…

Encore sur mon canapé du Limousin, j’imagine une ville de plus de 15 millions d’habitant·es, bruyante, remplie d’odeurs et de goûts étranges pour tous mes sens. Je ne sais pas encore si je vais aimer être là-bas, mais l’abondance d’humains et d’humaines dans un seul endroit, au carrefour de cultures radicalement différentes, vont créer un bain culturel inédit pour mon oreille. Depuis de nombreuses années, je me contente d’assez peu, et dans ce peu je trouve déjà l’infini. Je pense que je serai soufflée par la densité et l’étrangeté de cette nouvelle expérience.

Je souhaite vous écrire régulièrement mes aventures musicales à Istanbul. Rendez-vous dans les prochains articles…


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *