Cours de piano en ligne, écoute empathique

bienveillance, douceur et chaleur au piano

L’histoire d’Alma au piano #2

Voir l’histoire d’Alma au piano #1

Pour la millième fois je reprends le piano. Je n’arrête jamais de reprendre.

Mais cette fois-ci, aucune voix, aucun flash du Conservatoire. Juste moi, le piano, et les pensées tristes des dernière semaines qui me noient. Le visage blanc de ma tante dans la cuisine, patate et économe dans mes mains. La tête ronde de ma cousine contre moi, pleine de larmes. Ce sont des souvenirs de moments tristes qui n’avaient pas encore eu la place de revenir me voir.

Quand je travaille mon piano, on dirait qu’une partie de mon cerveau travaille, qui n’est peut-être pas celle que j’utilise le plus souvent dans ma vie de tous les jours. Et celle qui s’occupe de mon train de pensée continue en autonomie. Ça donne cet effet curieux, comme si j’avais deux cerveau : l’un qui s’occupe de travailler mon morceau, et l’autre qui pense librement, exactement comme s’il rêvait. C’est une sensation étrange et c’est la première fois que je me rends compte que ce mécanisme me rend service. C’est un moment de qualité pour ma psyché. Elle trouve un moment de liberté que je ne lui offre pas ailleurs.

Mais parfois c’est envahissant. Ces pensées m’empêchent de travailler correctement. Il faut dire qu’il y a une différence entre cet état et l’état de concentration qui me permet de bosser techniquement. Je n’ai pas encore bien distingué les deux. Cet état, je le trouve dans les premières minutes de mon travail. Et parfois, je plafonne à ce premier état hypnotique sans passer la barrière vers une concentration plus profonde, parce que les pensées auxquelles j’assiste sont trop tristes, choquantes, douloureuses.

En ce sens, je peux dire que mon état psychologique influe pas mal sur mon travail au piano. Et il se trouve qu’à une époque – et ça m’arrive encore – ce sont les souvenirs du Conservatoire qui me venaient à l’esprit. En me mettant au piano, je vivais ça : des flashs de concerts ratés, de mon prof qui me pourrit, des humiliations, des violences verbales.

C’est face à ces pensées-là que je finis par m’arrêter de jouer. Les déceptions et les échecs, qui font partie du jeu dans l’apprentissage, sont trop difficiles à affronter avec ces souvenirs en tête. Tellement que parfois je ne touche plus au piano pendant plusieurs mois. Ça m’est arrivé de ne plus le toucher pendant des années, à vrai dire. Il faut pouvoir se relever. Mais quand il n’y a que ma petite voix qui dit « ce que tu fais c’est super », ça ne suffit pas à contre-balancer des paroles assassines accumulées pendant des années, stockées dans une mémoire qui s’allume aléatoirement.

Je ne m’en veux jamais de m’arrêter. J’ai fait en sorte que ce ne soit pas grave. J’aime bien la douceur que j’ai avec moi-même sur ce sujet. Et je vois que mon jeu au piano n’en pâtit pas réellement. Certaines progressions ne se font qu’en lâchant son piano. C’est quelque chose qu’on a du mal à réaliser quand on est obligé·e à une assiduité permanente. Mes morceaux mûrissent parce que j’arrête de les jouer. C’est contre-intuitif mais vrai.

Alors là, j’ai repris le piano, je l’ai repris parce que je le voulais, et j’ai vraiment passé un bon moment.

Ecoutez Grigory Sokolov – Rameau Les Cyclopes


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