Mythe à la peau dure 🤔 :
« On ne peut pas apprendre le piano sans apprendre le solfège ».
Dixit une personne lambda qu’on a croisé une fois dans sa vie et qui donne son avis alors qu’on lui a pas demandé
La réalité ?
On vous ment

Qu’est-ce que le solfège ?
Quand on parle de solfège, on désigne principalement l’apprentissage rébarbatif de la lecture et de l’écriture de (une partie de) la musique occidentale. Il fait partie de la théorie musicale, qui est bien plus vaste, et englobe un ensemble de disciplines qui permettent d’analyser la musique occidentale, principalement musique dite « savante ». Il y en a pour tous les goûts : analyse musicale, harmonie, étude du rythme, des nuances, etc.
Cet article traite principalement du solfège comme le voient les débutant·es : l’apprentissage de la lecture de notes et de la lecture de rythme.
Depuis quand utilise-t-on l’écriture dans la musique ?
La musique, ça existe depuis le début de l’histoire de l’humanité. Pour être plus précise, et parce que je joue fair play, on a des preuves d’une activité musicale à partir de 35 000 av.J.-C.
Maintenant, voyons pour la lecture et l’écriture : l’humain commence à écrire entre 3400 et 3000 av. J.-C.1 En ce qui concerne la musique, on note qu’on a une preuve de l’usage de l’écriture de la musique à partir de 1500 av. J.C.2 Pourtant, si la notion d’écrire est très ancienne, l’utilisation de l’écriture par toutes les strates de la société n’est que très récent. Jusqu’à l’invention de l’imprimerie il était excessivement coûteux d’écrire (question de main d’œuvre). Le monde de l’écrit était réservé à une élite qui pouvait se le payer. La très grande majorité de la population ne lisait ni n’écrivait.
Pour rappel, l’invention de l’imprimerie c’est en 1450 grâce à l’invention de la presse mécanique par Johannes Gutenberg, largement inspirée des techniques orientales (oui, nous les occidentaux on est comme ça, on aime bien dire que « c’est nous qu’on l’a fait » alors qu’on l’a piqué aux autres).
Si l’on acceptait l’idée très grossière que l’alphabétisation de la population se produit à partir de l’imprimerie (ce qui est bien sûr tout à fait faux, cela prendra beaucoup plus de temps), ça fait seulement 574 ans (en 2024) que l’écriture et la lecture sont utilisées de manière relativement démocratique.
Donc sur touuuuuute la période qui va de -35 000 à 1450, l’humain a fait de la musique SANS lire. Ce qui représente 36 450 ans, tout de même !
Autrement dit, sur 98,5% de son existence, l’humain a pratiqué la musique sans la lire ou l’écrire.
Si ça c’est pas une preuve qu’on peut apprendre la musique sans solfège…

L’utilisation de la transmission de la musique par l’écrit est donc très récente dans l’histoire de l’humanité. Prétendre qu’il n’est pas possible ou pas intéressant d’apprendre la musique sans solfège, c’est renier toute l’histoire de la musique jusqu’au 15ième siècle ! Sans oublier toutes les musiques et musicien·nes qui encore aujourd’hui, ne font que peu usage de l’écrit…
Les avantages de l’écriture
Je compare très souvent la musique à une langue (dans l’article Paul Barton et Emilie, apprendre la musique par immersion par exemple, ou encore dans Pourquoi je ne sais pas improviser ?). Il me semble qu’en beaucoup de points, l’apprentissage de la musique ressemble à celui d’une langue (et je suis bien placée pour le savoir puisque j’ai à mon actif l’apprentissage de quatre langues outre le français). De plus, la finalité s’en rapproche : s’exprimer.
Apprendre la musique sans savoir l’écrire ou la lire, c’est exactement comme parler une langue sans savoir l’écrire ou la lire : l’humanité s’en est toujours passé sans problème, que ce soit pour l’apprendre ou pour la parler quotidiennement. Elle n’est donc pas indispendable, mais utile.
1. Utile chez le compositeur…
On peut avancer que si la musique a fait du gras depuis le moyen-âge, c’est probablement grâce à l’écriture.
Et je dis oui. Pour la composition, il semble évident que si j’ai accès à l’écrit, je conserve mes meilleures idées, puis je les structure, ce qui donne un concentré d’intelligence… L’écriture a probablement permis des créations plus complexes, ainsi que leur rétention avec exactitude dans le temps.
Mais ça, c’est pour le travail du compositeur ou de la compositrice. Pour ce qui est de retenir une composition déjà créée (le travail de l’interprète), c’est assimilable à retenir un texte par cœur.
2. … mais pas indispensable chez l’interprète.
Or on sait que l’humain s’est transmis des histoires complexes comme l’Iliade ou l’Odyssée, bien avant que l’écriture existe. Notre cerveau offre donc une capacité de mémorisation tout à fait suffisante.
Et pour les sceptiques de la mémoire orale, cet article expose comment, face à un méga-tsunami ayant eu lieu il y a 3500 ans, une tribu habitant les côtes chilienne en a maintenu le souvenir pendant un millénaire… Sans crayon ni papier ! Balèze, la culture orale… Et peut-être pas si inefficace !
Par ailleurs, contrairement aux grands récits que sont l’Iliade et l’Odyssée, ce ne sont pas des mots que l’on retient, mais des gestes. En effet, une fois que vous avez retenu votre morceau, vous « l’encodez » en gestes. Or la mémoire des gestes n’est pas stockée au même endroit du cerveau que la mémoire qui vous permet de retenir l’Iliade. Cette mémoire « des mots » s’appelle la mémoire sémantique.

Oui, c’est celle-là, cette mémoire qui se charge de retenir ce que vous « avez sur le bout de la langue », ou le nom de ce fameux présentateur télé que-je-sais-plus-comment-il-s’appelle…
Pour mémoriser un morceau, les gestes automatiques que vous avez créés sont, eux, stockés dans la mémoire procédurale. C’est une mémoire à long terme qui stocke les procédures automatiques. Elle s’allie avec elle la mémoire sensorielle. Pour faire simple, c’est la même mémoire qui vous permet de conduire ou de faire du ski : une fois que vous l’avez appris, c’est du solide ! C’est comme « ancré » dans votre corps.
Donc si l’écriture offre un sérieux avantage pour complexifier la création, l’interprétation ne semble cependant pas nécessiter des mêmes conditions… L’interpète apprendra l’oeuvre, transmise par voie orale, et la transmettra à son tour par voie orale, sans doute avec des modifications, pour le meilleur ou pour le pire… Nous verrons ça un peu plus loin.
3. Si pour retenir une œuvre on n’a pas besoin de lire, mais alors… ?!
Le principal avantage du papier, il faut le dire, c’est d’avoir conservé intactes les œuvres de compositeurs et compositrices (qui quant à elles n’attendent que d’être redécouverte suite à une petite censure misogyne). Ceci a pourtant des inconvénients, comme nous le verrons plus bas.
Non, le solfège a simplement fait passer la musique dans une catégorie d’élite, réservée aux personnes ayant un savoir QUI N’EST PAS DÉMOCRATISÉ, scindant ainsi la population en deux groupes de musicien·nes :
- Les riches, qui savent la lire et l’écrire, qui développent une musique auto-proclamée « savante », et
- Le peuple, pour une musique « populaire » ou « traditionnelle », qui continue de développer une musique dansante, adaptée à la fête, et conviviale, qui raconte les peines et les joies des peuples.
Bref, si vous voulez une lecture grossièrement marxiste de la chose et pour un petit jeu de mot rigolo : l’écriture a rendu la musique classiste… C’est un thème que j’explore dans Les discriminations dans la musique : Green Book & Don Shirley.
– Quelques larmes d’un peuple déporté –
Les avantages de l’apprentissage sans solfège
1. ➡️ On conserve sa créativité, on personnalise l’œuvre.
Vous savez peut-être que l’Illiade et l’Odyssée sont parfois considérées comme des œuvres collectives ? Se transmettre des œuvres sans qu’elles aient été écrites, c’est le risque de pratiquer des modifications : par goût ou par accident.
Or quand c’est par goût, on peut imaginer que ce sont des améliorations, proposées par l’un ou l’une de nous, qui à l’épreuve du temps, disparaissent si elles ne représentent pas d’intérêt.
Mais quand ce sont des accidents, on a presque envie de dire « bingo j’ai trouvé un contre-argument, Alma ! »… . Eh oui MAIS 🤓(cherchez pas, je déteste avoir tort), ça marcherait SI :
- On ne se rappelait pas que John Cage promouvait l’usage de l’accident dans la composition,
- OU SI on ne se rappelait pas de l’intérêt des accidents génétiques dans l’évolution… (Ça donne envie de relativiser l’obsession actuelle pour l’exactitude, largement nourrie pas une culture de l’écrit)
Ne pas figer sur du papier, c’est ouvrir l’œuvre à une écriture collaborative. C’est à la fois riche, convivial, et dynamique. C’est accepter de ne pas rester coincé dans des interprétations figées et laisser cours à la créativité.
2. ➡️ C’est convivial
Comme je l’évoque précédemment, apprendre la musique sans écriture, c’est très convivial. Apprendre à l’oral nécessite de trouver un·e musicien·ne qui va nous transmettre la pièce. Que la personne ait 5 ans ou 47 ans, il suffit qu’elle nous montre son morceau et c’est parti ! Vous mettez l’autre dans une position agréable de partager son savoir, et vous, une fois le morceau en mains, vous ferez pareil et agrandirez la grande chaîne des musicien·nes de ce monde ! Dans une époque de l’individualisme, encourager le lien social ne me paraît pas une mauvaise idée…
3. ➡️ C’est très bon pour la santé intellectuelle !
S’il y a une chose qu’on a perdue en passant à l’écrit, c’est l’utilisation intensive de notre mémoire. Beaucoup de musicien·nes n’apprennent plus à mémoriser leurs œuvres, car quand on sait bien lire, mémoriser est plus coûteux. Malheureusement, la liberté de jeu s’en trouve affectée en deux points :
- D’une part on est moins « musical » quand on a la partition sous le nez. On est moins libre de ses mouvements, on ne peut pas fermer les yeux, et on prend moins de liberté par rapport à la partition.
- D’autre part on ne peut pas jouer au débotté face à une personne quand on n’a pas sa partition dans le sac… Dommage !
Pratiquer sa mémoire fait partie de l’entretien d’une bonne santé mentale et tout comme pratiquer du sport, c’est un bon moyen d’entretenir de bonnes capacités intellectuelles jusqu’à un âge avancé.
« Tout au long de sa vie, il est particulièrement important de faire travailler sa mémoire. […] Les personnes ayant une haute réserve cognitive seraient donc plus résistantes au développement des lésions cérébrales de la maladie d’Alzheimer, ce qui retarderait l’apparition des symptômes. »
Fondation Vaincre Alzheimer
4. ➡️C’est bon pour votre oreille de musicien·ne !
Ça paraît évident mais c’est le dernier argument qui m’est venu étrangement !
Quand on lit, il est tentant de ne se fier qu’à l’écriture. Elle vous dira le principal en ce qui concerne la touche qu’il faut jouer, où placer ses doigts, et le rythme. Votre oreille, pendant ce temps, peut tout à fait rester en vacances.
Lorsque l’on apprend par imitation, l’oreille est plus active :
- Soit la personne reproduit beaucoup au visuel, auquel cas l’oreille sert d’agent de contrôle. Car au piano, étant donné le nombre de notes simultanément, vous attraperez difficilement toutes les informations nécessaires seulement avec la vue.
- Soit la personne reproduit directement à l’oreille, auquel cas… Bon, pas besoin d’argumenter je crois !
- Enfin, quand la personne a oublié ce qu’elle vient d’apprendre à l’oral (et c’est courant), elle a néanmoins souvent la mémoire de la musique qu’elle cherche. Elle va donc tâtonner pour retrouver la mélodie ou les accords… Rien de mieux pour bosser l’oreille !
5. ➡️C’est motivant
Parce qu’on joue immédiatement !
Par ailleurs, apprendre par transmission orale, c’est commencer à jouer de la musique immédiatement, sans préalable. C’est motivant et intéressant. La musique, c’est assez laborieux, il ne faut pas se mentir ! Il y a énormément de choses à apprendre. Or la récompense que vous attendez, c’est de pouvoir jouer. Quand on force une personne, même adulte, à passer par un long apprentissage préalable du solfège c’est extrêmement décourageant. On joue des morceaux simplistes dénués de tout intérêt, juste parce qu’on doit les « mériter » en les ayant déchiffrés au préalable. Quand on apprend par imitation au contraire, on arrive très vite à jouer des morceaux qu’on ne pourrait pas lire.
L’exemple de la Lettre à Élise
Par exemple, il est courant que des élèves viennent avec l’envie de jouer la Lettre à Elise de Beethoven, son thème principal. Ce morceau est difficilement accessible en lecture. Il faudra plusieurs semaines pour un·e adulte très motivé·e, et plusieurs mois voire plusieurs années pour un·e enfant. De mon côté, il est courant que j’enseigne ce morceau au premier cours, sans que cela ne pose de difficulté particulière.
6. ➡️C’est réversible !
Et pour finir, ne pas apprendre le solfège, ça n’empêche JAMAIS, ô grand jamais, de passer à la lecture une fois qu’on le souhaite ! Il est TOUJOURS temps d’apprendre, à tout âge.
Certes en tant qu’adulte vous avez souvent moins de temps consacré à l’apprentissage que les enfants et les adolescent·es, mais avec les emplois du temps de ministre qu’ont les enfants aujourd’hui c’est de moins en moins vrai…
Il est vrai aussi que la plasticité cérébrale joue moins en votre faveur (bien qu’elle soit tout de même effective même à l’âge adulte). Certaines choses comme l’oreille absolue par exemple s’acquièrent mille fois plus vite dans l’enfance qu’à l’âge adulte. Mais justement : on parle de musique et non d’écriture de la musique. C’est la formation musicale qui est réellement la langue à apprendre dans l’enfance, et non la théorie musicale.
En effet, je suis persuadée que tout ce qui touche à la pratique de l’écrit fait intervenir des mécanismes de pensée et des façons d’apprendre typiquement adultes, et qui, au contraire, sont très coûteux pour la plupart des enfants. Par contre, comprendre ces logiques en tant qu’adulte, sur une oreille formée dans l’enfance, me semble tout-à-fait pertinent. Si vous voulez que vos enfants « gagnent du temps » en musique, baignez-les de musique et aidez-les à associer plaisir et pratique de la musique. Iels auront tout le temps d’apprendre le solfège à un âge où le besoin de rationalisation se fera ressentir ! (sauf si ce besoin s’est fait ressentir plus tôt, auquel cas vous ne lisez sûrement pas cet article 😁)
Les inconvénients de ne pas apprendre le solfège
Pour être fair-play dans cet article, je souhaite avertir clairement les personnes de ce qu’elles perdent en n’apprenant pas le solfège.
Le regret de ne pas l’avoir appris avant
« J’aurais préféré qu’on me force à apprendre le solfège enfant ! » 😭
Il existe des personnes qui vous diront qu’elles regrettent qu’on ne les ai pas forcées plus jeunes. Ça me fait mal pour l’enfant qu’ils étaient ! Car non, un enfant n’aime pas être forcé, et je n’adhère pas à l’idée qu’on peut « forcer quelqu’un pour son bien », car cela a des effets délétères ailleurs.
Ce qui donne ce regret en réalité, c’est qu’il ne faut pas se mentir : apprendre à lire c’est coûteux. Ça demande du temps et de la détermination. Bref, on préférerait largement que ce soit derrière nous… Vous aimeriez que ça se situe dans votre passé, quel qu’en ait été le coût, et surtout parce que ce « vous » du passé n’est plus le « vous » du présent (donc vous aimez bien le maltraiter bande de petit·es maso… 😈Allez, un peu de douceur avec cellui que vous étiez 😗).
Mais le pari que ces personnes font inclut cette hypothèse : « j‘aurais forcément continué la musique même si on m’avait forcé·e à apprendre le solfège« . Malheureusement, c’est faux. L’apprentissage forcé du solfège est dans bien des cas responsable de l’abandon des élèves. Lorsque je parle de piano autour de moi, je me rends compte que beaucoup, vraiment beaucoup plus de personnes que je ne le pense ont des bases, parce qu’elles en ont fait plus jeunes. La raison de leur arrêt est TOUJOURS soit le solfège, soit une discipline trop rigoureuse.
Réfléchissez : vous auriez réellement souhaité qu’on vous force enfant ? Très bien. Alors il y a une grande probabilité que la musique ne ferait plus partie de votre vie aujourd’hui.
Mes solutions face à ce regret :
- 🌈 (Se) donner de l’empathie – dans un regret, il y a une part de deuil. Il faut accepter que les choses n’ont pas été ce qu’elles n’ont pas été, accepter que ça vous rend profondément triste ou en colère de ne pas avoir reçu ce que vous auriez souhaité avoir. C’est dur. C’est vrai, des fois, on a vraiment les boules.
- 🤐 Chasser les idées reçues : non, forcer une personne, même un·e enfant, n’est pas une bonne chose. L’idée du génie qui a appris le solfège à 5 ans est séduisante mais cette typologie d’enfant, quand ce n’est pas une personne qui est mise sous pression par son entourage, est forgée par des facteurs très variés que vous ne maîtrisez pas. Tenter de les reproduire par le forcing relève de la maltraitance.
- 🤗 Bien distinguer « accompagner » et « forcer » – si une personne, enfant ou adulte, manifeste un intérêt pour le solfège, ou même un désir de savoir mais une difficulté à apprendre, il faut l’accompagner. Il faut chercher des profs, des méthodes qui lui correspondent, et l’aider à garde une assiduité dans le plaisir. Il faut le ou la soutenir. Cette personne n’a pas besoin d’être forcée mais soutenue.
- 🤔 Bien se rappeler que le solfège est UN CHOIX – si vous n’avez profondément pas envie ou pas le temps de passer du temps au solfège, ça ne doit pas être une raison de ne pas vous mettre à la musique ! Attention, vous procrastinez !
Un autre inconvénient de ne pas savoir lire la musique : ne pas accéder aux partitions
C’est moins d’autonomie (pour explorer le patrimoine)
Évidemment, j’espère que vous comprenez que sans apprendre l’écrit, vous n’accédez pas à ce qui équivaut aux « livres » pour musicien·nes, c’est-à-dire aux partitions. Ça veut dire que pour apprendre un nouveau morceau, vous le ferez soit à l’oreille, soit à l’imitation visuelle, ce qui semble difficile (mais pas impossible !) pour du répertoire très complexe type les Fugues de Bach ou des morceaux de Liszt…
C’est accéder différemment au reste de la théorie musicale
Mais de manière plus large, vous accéderez de manière différente à toute la théorie musicale. En effet, vous n’utiliserez pas la notation mais votre oreille ou des repères visuels pour la comprendre.
Cela peut vous faire passer à côté de nombreux manuels et sites internet qui sont souvent écrits par des personnes qui ont étudié la notation musicale traditionnelle.
Le PRINCIPAL inconvénient à ne pas savoir lire la musique : avoir affaire à des emmerdeurs gens un peu casse-pieds
En fait, le principal inconvénient de ne pas apprendre le solfège, c’est que quasiment tout le monde pensera que « parce que vous êtes musicien·ne vous savez lire la musique », et que par conséquent, certain·es musicien·nes vous prendront de haut parce qu’eux-mêmes savent la lire. En bref, c’est parce que tout le monde croit qu’il faut savoir lire la musique que tout le monde croit qu’il faut savoir lire la musique. C’est marrant ça, non ? (non ? 🤓).
Face à ça, n’hésitez surtout pas à explorer les musiques traditionnelles, qui pour bon nombre ont été écrites par des personnes qui ne maîtrisaient pas l’écriture musicale et font preuve d’une virtuosité et d’une musicalité incroyable. Rappelez-vous que ne pas savoir lire la musique peut rendre plus libre. Que la connaître et être écrasé·e par les règles de théorie musicale ne rend pas musicien·ne.
Les gens qui ont besoin de se raccrocher à ce type de compétences ont probablement des lacunes ailleurs et se sentent sécurisés par le fait de savoir ce truc qui impressionne… Aucun·e musicien·ne ne peut se targuer de TOUT savoir en musique. La lecture fait partie des nombreuses compétences que l’on choisit OU NON d’avoir.
Qu’est-ce qu’on apprend, sans solfège ?
Comme je le dis plus haut, ne vous inquiétez pas. Au piano et en musique en général, les compétences sont tellement variées qu’il est impossible de trouver en un·e seul·e musicien·ne toutes les compétences et connaissances réunies. Même Mozart avait une connaissance limitée de la musique !
Alors, quand on ne travaille pas la lecture et l’interprétation des partitions, on en travaille d’autres. En voici une liste non-exhaustive :
Chez le ou la débutante :
- Trouver ses repères sur le clavier
- Premiers pas au rythme (non écrit) : intégrer une pulsation, synchroniser le pied et les mains,
- Synchroniser la pédale avec le jeu des mains
Le travail au long cours :
- Structurer l’équilibre musculaire de sa main (en gros : le sport du pianiste),
- Gérer la synchronisation des mains et des doigts,
- La musicalité,
- L’harmonie,
- Forger son oreille (ex: retrouver des mélodies à l’oreille, trouver comment harmoniser une mélodie),
- L’improvisation,
- Jouer avec d’autres musicien·nes.
Comme vous le voyez, on ne perd pas de temps ! Au contraire, vous « parlez » la musique avant d’apprendre sa grammaire. Observez comment vous avez appris la langue française : vous l’avez parlée bien avant de l’écrire ! En musique bizarrement, on trouve que le faire à l’envers a plus de sens… Pourtant la musique est bel et bien une langue, elle aussi : pour exprimer, pour jouer, pour plaire, pour raconter !
Rendre à César ce qui appartient à César
Il ne s’agit pas de prétendre que le solfège n’a aucun intérêt ! Cet article a seulement pour vocation de casser l’idée reçue selon laquelle la culture écrite est en tous points une évolution, et de relativiser l’importance du solfège parce que cela bloque une partie d’entre vous à entrer dans la pratique de la musique. Dans les faits, il faut remettre les choses à leur place : sachez que certain·es musicien·nes utilisent le solfège et d’autres pas, tout simplement. Par conséquent, vous pouvez l’apprendre ou ne pas l’apprendre au début, et vous pourrez toujours l’apprendre au moment où vous en aurez besoin.
Dans quels cas est-il important d’apprendre le solfège ?
- Si votre entourage de musicien·nes utilise l’écrit, alors je vous conseille de vous y mettre (
ou de changer d’entourage😁), car vous aurez du mal à communiquer avec les autres, - Si vous souhaitez principalement jouer du répertoire classique,
- Si vous éprouvez de l’ennui et que vous avez envie de vous lancer un défi plaisant,
- Si vous êtes très intéressé·e par l’analyse de la musique,
- Si de manière plus générale, vous vous sentez limité·e dans votre apprentissage à cause du manque d’accès à l’écrit musical. Alors prenez votre courage à deux mains. Franchement, on en fait tout un char mais c’est pas si terrible.
Dans quels cas il ne me semble pas pertinent de s’escrimer à apprendre le solfège ?
- Si vous commencez tout juste la musique : testez déjà pour voir si ce langage vous plaît ! Voyez quel type de répertoire vous plaît le plus !
- Si vous avez un entourage de musicien·nes qui n’utilisent pas l’écrit : alors ces personnes vous parleront avec des « là le tu sais cet accord « zouiing » ». Et ça marche bien aussi…
- Si vous êtes parent et que vous sentez que votre enfant décroche, ou même s’iel n’a jamais demandé à apprendre le solfège. Il faut une bonne dose de motivation pour apprendre cette matière, alors assurez-vous que vous, ou la personne que vous accompagnez a suffisamment envie, et que son envie vient d’elle.
- Si vous êtes très avant-gardiste dans vos goûts. Même s’il existe une exploration de l’écriture de la musique contemporaine, par ailleurs passionnante, rien n’est arrêté. N’hésitez pas à créer votre propre notation…
Un avenir incertain !
Le solfège est une science poussée, à laquelle beaucoup de monde contribue depuis des siècles. Il a figé notre façon d’utiliser la notation de la musique, et il a même tendance à influencer notre manière de jouer et de composer. Les bruits ou certaines hauteurs ne peuvent pas être représentées sur une partition.
J’ai envie de vous soumettre cette délicieuse partition, écrite par Iannis Xenakis, compositeur de musique contemporaine et architecte.

Oui, c’est une partition. Décadence ou évolution ? La question peut se poser. Pour ma part, j’y vois une troisième voie : de la créativité dans l’écriture, bon sang !
Pour conclure
La croyance largement relayée selon laquelle on ne peut pas apprendre la musique sans solfège est tout à fait caduque, et c’est une évidence logique. On peut arguer qu’on ne doit pas apprendre la musique sans solfège, opinion que je ne rejoins pas faute de bons arguments… Les avantages de la culture orale sont nombreux, dont le plus précieux : un contact très direct avec la musique. Si les Conservatoires sont utiles à bien des égards (notamment pour démocratiser davantage l’écriture de la musique et pour soutenir l’entretien du patrimoine musical), leur pédagogie basée en grande partie sur la culture écrite crispe les musicien·nes. On leur enseigne en premier lieu le patrimoine, puis bien des années plus tard, ces élèves pourront commencer à explorer la musicalité. Qui étrangement, et difficile à retrouver… Bien tassée sous un amas d’injonctions bien intériorisées.
Il est urgent de revaloriser l’apprentissage et la transmission orale de la musique (ou même tout court !). Autant que la culture écrite, elle peut tout à fait transmettre un patrimoine complexe sur du temps long, et a des atouts complémentaires à ceux de l’écriture.
Soyez donc un·e musicien·ne décomplexé·e : le meilleur moyen de faire vivre la musique, c’est de la jouer !
- Débuts de l’écriture en Mésopotamie, article de qualité, Wikipédia ↩︎
- « Les sources les plus anciennes de la théorie musicale sont probablement mésopotamiennes : des tablettes sumériennes et akkadiennes datant d’avant 1500 avant notre ère donnent des listes d’intervalles et décrivent l’accord d’instruments à cordes. » Théorie de la musique, Wikipédia ↩︎
Bibliographie
Des mimes et des murs, Robert Kaddouch, Gruppen éditions
Ressources
Paul Barton et sa fille dans 20 moments musicaux, un bel exemple d’une entrée « naturelle » en musique.
Laisser un commentaire