Il y en a qui n’ont pas peur d’être comme ils sont. On les en remercie parce que ça donne de belles choses.
Depuis que j’ai émergé de mon nuage post-conservatoire, je n’ai eu de cesse de chercher comment la musique peut s’enseigner, s’apprendre. Avec l’intuition que l’école est sans doute un moindre mal mais pas une solution enthousiasmante.
Je suis passée par la fac. J’y ai adoré l’accessibilité du savoir. L’accès aux bibliothèques et à des personnes sachantes en faisait un paradis d’abondance. J’ai exploré l’apprentissage sans école, l’école alternative, la pédagogie alternative. J’ai exploré mes propres façons d’apprendre et celles des autres.
Comment rendre la musique plus accessible ? Comment la faire sortir de son élitisme ? Comment (re)trouver de la convivialité dans le jeu et dans l’enseignement ? Comment jouer de la musique plutôt que la travailler ? Comment faire dégonfler le melon des musicien·nes classiques et des jazz·wo·men ?
Au fil de ces interrogations, j’ai adoré tomber un jour sur Paul Barton et sa fille Émilie. J’avoue ne pas avoir pris encore assez de temps pour vadrouiller sur sa chaîne Youtube. Mais sans discours et sans paillettes, il y a une vidéo qui me semble précieuse dans ma recherche et je vous la partage.
On voit dans cette vidéo un réel apprentissage de la musique par immersion. De la même manière qu’une langue peut s’apprendre par immersion plutôt que par – ou en plus de – l’étude grammaticale, la musique, et surtout à un jeune âge, fonctionne à peu près pareil. C’est exactement ce que l’on voit dans cette vidéo. Enfin, il ne faut pas être dupe : Paul Barton, en plus d’être musicien, est également professeur (et aussi pianiste pour éléphants, mais c’est une autre histoire). Sa manière d’être avec Émilie est très probablement très réfléchie, au point qu’on peut considérer qu’elle est une réelle pédagogie.
Cet apprentissage par immersion, c’est ce qui fait la différence entre les enfants qui entrent au Conservatoire et qui ont un entourage de musicien·nes derrière eux, et les enfants qui vont devoir se débrouiller uniquement avec ce que le Conservatoire va leur donner. Les premier·es sont très nettement privilégié·es. Dans un cours de langue, on accepte bien volontiers la différence entre un·e élève qui parle anglais à la maison et un·e élève qui ne que français : elle est gigantesque.
Après cette vidéo j’ai rêvé de Conservatoires dans lesquels on trouverait des « cours » pour bébés, avec un·e simple pianiste qui jouerait au milieu de petits bouts de chou dans les bras de leurs parents ou dans des couffins sur des pianos. Vous imaginez ça ? Un piano couvert de bébés, c’est pas rigolo ? Offrir à tout le monde la beauté de ces moments musicaux, au lieu d’attendre l’âge de raison, l’âge de travailler, de comprendre, d’apprendre ? Des Conservatoires ouverts comme des bibliothèques, qui ne conservent plus mais qui s’ouvrent (des ouvertoires 🤔 ?). Des espaces pour entendre facilement cette « langue », hors de créneaux horaires bien définis.
Les halls de gare avec leurs pianos offerts sont l’initiative concrète la plus enthousiasmante que j’ai eu l’occasion de vivre. Sans m’appuyer sur des études statistiques, je suis convaincue que ces pianos, et les pianistes de toute espèce qui se sont produits dessus ont créé de réels espaces de transmission de la pratique musicale, de véritables espaces pédagogiques innovants. Encore une fois, sans paillettes et sans discours.
Les espaces pédagogiques que nous créons ont une grande importance. Voyez comment l’architecture d’un bâtiment impacte les mouvements des personnes, et comment les architectes pensent stratégiquement leur création pour qu’elle impacte les mouvements dans le sens qui leur semble le plus intéressant. De manière assez semblable, la façon dont nous organisons les espaces, physiques, temporels, la façon dont nous nous comportons en tant que professeur·es, définit beaucoup de ce qu’il va se passer pour l’apprentant·e (ET l’enseignant·e !). Voyez comment apprendre à l’école, apprendre avec une seule personne, ou apprendre dans une classe à pédagogie mutuelle modifie l’état d’esprit de la personne qui apprend, modifie sa façon de pratiquer sa discipline, et son rapport à son propre savoir, puis son propre rapport futur à la transmission de son savoir… Nous avons la responsabilité de créer des espaces pédagogiques qui sont pensés pour l’accessibilité, le bien-être dans l’apprentissage, le bon traitement de l’enfance, l’amour et la durabilité de nos disciplines.
En ce sens, j’ai eu l’occasion de vivre une autre expérience très belle, mais je vous en parlerai dans un prochain article…
J’invite les enseignant·es à s’amuser avec les espaces pédagogiques : que se passe-t-il si le piano est dans un couloir ? Que se passe-t-il quand on essaie d’enseigner telle musique plutôt qu’une autre ? Que se passe-t-il quand on s’empêche d’ordonner quelque chose à ses élèves, si l’on se force à toujours respecter leur consentement ? Certaines modifications ont des conséquences incroyables, d’autres ne font rien bouger d’un pouce…
J’invite les élèves à jouer avec leurs propres espaces d’apprentissage et à s’autoriser l’indépendance : soyez critiques vis-à-vis de l’enseignement que vous recevez, posez-vous la question de ce que vous souhaitez vraiment, de si vous aimez réellement les temps d’apprentissage, de ce que vous souhaiteriez voir advenir. Vous êtes légitimes à vous poser ces questions, à demander que l’espace d’apprentissage vous convienne et à co-créer cet espace avec votre professeur·e.
J’invite les parents à se demander de quoi iels rêvent pour leur enfant en l’accompagnant dans la musique : non pas ce qu’iels aimeraient que leur enfant soit, mais ce qu’iels aimeraient que leur enfant ressente en tant que musicien·ne.
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